Déduction des coûts informatiques : quelles précautions prendre ?
En cette période d’arrêté des comptes, les entreprises doivent particulièrement veiller à l’exacte qualification des dépenses liées à la maintenance de leurs immobilisations. La difficulté est d’établir la ligne de partage entre les coûts immédiatement déductibles et les dépenses à immobiliser. Ce travail est rendu particulièrement délicat dans le domaine de l’informatique dans la mesure où les deux catégories de frais sont bien souvent très imbriquées.
Le critère de distinction entre les dépenses incorporables dans les charges immédiatement déductibles et les coûts immobilisables est connu : les frais engagés pour le maintien des immobilisations dans leur état de fonctionnement jusqu’à l’expiration de leur durée d’utilisation normale sont des charges de l’exercice alors que le coût des opérations aboutissant à une prolongation de la durée de vie du bien et/ou à une augmentation de sa valeur doit figurer à l’actif.
Souvent délicat à appliquer à l’égard de dépenses engagées sur des biens corporels, ce critère est particulièrement difficile à manier s’agissant d’opérations portant sur des actifs incorporels.
Saisie d’un litige concernant des coûts informatiques supportés par l’opérateur historique de télécommunications, la cour de Versailles n’a pas hésité à se lancer dans l’analyse technique de l’objet et des effets concrets des dépenses engagées (CAA Versailles 18-11-2014 n°11VE2931).
Le juge ne s’en n’est pas tenu au fait que l’entreprise ait comptabilisé les dépenses dans des comptes intitulés « maintenance applicative évolutive » et « maintenance logicielle » pour accepter leur déduction immédiate.
Une première série de coûts concernait l’élaboration d’une nouvelle version d’un logiciel consistant en une plateforme d’intermédiation permettant l’accès des clients à Internet, qui était interfacée avec un logiciel comptable. La cour s’appuie sur la circonstance que cette nouvelle version permettait une interface avec une nouvelle plateforme de comptabilisation et de facturation (la précédente étant devenue obsolète) pour conclure que les dépenses avaient pour objet la prolongation de la durée d’utilisation du logiciel. Une fois cette position de principe adoptée la cour se prononce sur le régime de certaines dépenses supportées en amont et en aval de cette opération. L’entreprise prétendait qu’une partie des dépenses réintégrées concernait des opérations de pure maintenance supportées avant la modification importante du logiciel, et qu’une autre part se rapportait à des corrections de la nouvelle version. Mais à défaut d’éléments suffisamment probants pour attester de la réalité de ces allégations, la Cour refuse leur déduction parmi les charges de l’exercice. Il semble à la lecture de l’arrêt que l’analyse faite sur le régime de la dépense centrale ait emporté la position de la cour sur les autres frais. Dans la ligne de ce raisonnement, la Cour refuse également la déduction de dépenses périphériques engagées dans le contexte du passage à la nouvelle version du logiciel, consistant notamment en des opérations de migration vers une nouvelle messagerie.
Etaient par ailleurs en litige des dépenses engagées pour assurer la migration de l’outil de contrôle des cartes bancaires vers un nouveau serveur. La cour estime que ces dépenses ont eu pour objet d’accroître les capacités de l’outil et d’en prolonger la durée probable d’utilisation telle qu’appréciée à la date de sa mise en place.
Cette décision souligne la rigueur du juge fiscal qui n’hésite pas à se plonger dans le détail d’une analyse technique pour identifier l’objet des dépenses engagées. Elle envoie un message de prudence aux entreprises. En pratique, il peut être utile de mettre en place une méthodologie interne et concrète visant à distinguer les dépenses de simple entretien des coûts ayant pour effet d’améliorer les fonctionnalités et/ou de prolonger la durée de vie des applications, en fonction du secteur d’activité et des caractéristiques principales des logiciels employés au sein de l’entreprise.
Dans les situations où un doute subsiste sur la qualification d’une dépense engagée pour l’évolution d’un logiciel, l’intérêt fiscal de l’entreprise est de l’inscrire à l’actif. En retenant cette option elle peut en effet se placer sous le régime de l’article 236, I du CGI qui permet la déduction fiscale massive des dépenses de création de logiciels immobilisées qui sont alors comptabilisées parmi les amortissements dérogatoires.