Quote-part de frais et charges sur les dividendes de filiales étrangères : exigez la restitution l’impôt payé !
Dans une décision très importante rendue le 2 septembre 2015, la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) vient de condamner la France. Tous les groupes détenant au moins 95% du capital de filiales étrangères européennes sont concernés. La Cour a jugé que les dividendes en provenance de ces filiales doivent être totalement exonérés d’impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles, alors que l’exonération se limitait jusqu’alors à 95% de leur montant. Il s’ensuit une économie d’impôt égale à 1,9% des dividendes reçus.
Le régime de l’intégration fiscale invoqué comme une source d’atteinte à la liberté d’établissement
En vertu des articles 145 et 216 du CGI les dividendes perçus par une société mère de ses filiales dont elle détient au moins 5% du capital sont exonérés d’impôt sur les sociétés, mais la mère doit néanmoins soumettre à l’impôt une fraction égale à 5% de leur montant qui est censée contrebalancer, de manière forfaitaire, les frais supportés pour la gestion de cette participation, qui sont eux-mêmes déductibles du résultat imposable.
Ce principe de taxation d’une quote-part de frais et charges comporte toutefois une dérogation importante : au sein d’un groupe fiscal, cette quote-part est comprise dans le résultat individuel des sociétés membres mais neutralisée pour l’établissement du résultat d’ensemble. Une exonération complète est donc en définitive accordée.
Depuis plusieurs années, des groupes internationaux ont pris appui sur cette mesure issue de l’article 223 B du CGI pour contester l’obligation de soumettre à l’impôt la quote-part de frais et charges à raison des dividendes de source européenne.
L’article 49 du traité relatif au fonctionnement de l’union européenne (TFUE) impose en effet de supprimer toute entrave à la liberté d’établissement. Une telle atteinte est caractérisée si une société mère détenant une filiale dans un autre Etat membre est placée dans une situation défavorable par rapport à une société mère qui détient une participation au sein d’une filiale résidente.
La société Stéria considérait qu’elle avait subi une pénalisation de cette nature au motif que le CGI réserve l’exonération complète des revenus de filiales aux distributions réalisées au sein d’un périmètre d’intégration fiscale. Or en application de l’article 223 A du CGI, seuls les entités soumises à l’impôt sur les sociétés peuvent être membres d’un groupe fiscal, lorsqu’elles sont détenues directement ou indirectement à 95% au moins par leur société mère. Les dividendes d’origine étrangère sont donc en pratique systématiquement exclus de cette mesure favorable alors qu’il est loisible aux filiales françaises qui satisfont à la condition de détention par leur mère d’entrer dans son groupe fiscal, ou de constituer un nouveau groupe avec elle afin que les dividendes versés bénéficient de l’avantage.
Saisie de ce litige, la cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles 29 juillet 2014 n°12VE03691) avait transmis à la CJUE une question préjudicielle afin qu’elle se prononce sur la compatibilité de la législation française avec le principe de liberté d’établissement.
La France est sèchement condamnée par la Cour de Justice de l’Union européenne
Dans une décision très attendue en date du 2 septembre 2015 (aff C-386-14), qui est conforme aux conclusions de son avocat général Mme Kokott, la CJUE a jugé incompatible avec le principe de liberté d’établissement la législation interne qui permet à une société mère intégrante de bénéficier de l’exonération complète des distributions en provenance des filiales membres du groupe qu’elle a constitué, alors que les dividendes versés par des filiales implantées au sein de l’Union européenne qui auraient été intégralement exonérés si elles avaient été résidentes sont toujours taxés à hauteur de 5% de leur montant.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a d’abord fait le constat que la législation interne actuelle porte atteinte à la liberté d’établissement, alors que l’appartenance ou non à un groupe fiscal de la société bénéficiaire des dividendes ne marque pas une différence de situation objective au regard de la question de l’imposition d’une quote-part forfaitaire de frais et charges.
Elle estime que cette atteinte à la liberté d’établissement n’est pas justifiée par des motifs d’intérêt général. Les deux arguments invoqués en ce sens par la France sont fermement rejetés.
La Cour estime tout d’abord que la différence de traitement qui est introduite ne peut être justifiée par la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les Etats membres. Certes, une précédente décision avait pris en compte cet exigence pour accepter qu’un Etat membre puisse refuser l’appartenance d’une société non résidente à un groupe fiscal (Arrêt X Holding 25-2-2010 aff 337/08). Toutefois, il s’agissait là d’éviter qu’une société mère puisse librement choisir l’Etat d’imputation des pertes subies par sa filiale. Or la question de la taxation de la quote-part de frais et charges sur les revenus de filiales ne comporte aucun enjeu de cette nature puisque seul peut en toute état de cause être concerné le résultat fiscal de la société mère bénéficiaire des distributions.
La France invoquait également un argument tenant à la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal de l’intégration pour justifier l’application limitée de la mesure aux sociétés membres d’un groupe. Mais la jurisprudence de la cour encadre les conditions dans lesquelles un tel argument peut être valablement invoqué. Elle exige qu’un lien direct soit établi entre l’avantage en litige et une contrepartie, dans le cadre du régime dont la cohérence est invoquée, entraînant un prélèvement fiscal supplémentaire. La Cour relève que l’exonération intégrale des dividendes de filiales a un caractère définitif et ne comporte aucune contrepartie défavorable dans le cadre du régime de l’intégration fiscale. La cohérence du régime de groupe ne justifie donc en rien la portée restreinte de cette mesure d’exonération de la quote-part de frais et charges.
Pour échapper à sa condamnation sur le terrain de la liberté d’établissement, la France invoquait en dernier lieu la directive communautaire 2011/96 relative au régime des sociétés mères et filiales dont l’article 4 autorise la taxation d’une quote-part de frais et charges à hauteur de 5% du dividende perçu. Mais la Cour relève que cette faculté ne saurait exonérer les Etats membres de leur obligation générale de respecter le principe de liberté d’établissement.
Les conséquences à tirer de l’arrêt de la Cour
La décision rendue par la CJUE le 2 septembre 2015 peut être invoquée à l’appui de réclamations sur les exercices non prescrits visant à obtenir la restitution de l’impôt payé à tort sur la quote-part de frais et charges afférentes aux dividendes de filiales européennes. En pratique, les exercices 2012, 2013 et 2014 sont concernés, étant précisé que s'agissant de l'exercice 2012 la réclamation doit être adressée à l'administration avant le 31 décembre 2015.
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S’agissant de l’avenir, il sera important de suivre la réaction des pouvoirs publics face à cet arrêt. Il est à souhaiter qu’elle s’inscrira une perspective de neutralisation complète des frottements fiscaux liés aux distributions internes aux groupes, français ou internationaux. La généralisation de cette neutralité permettrait d’améliorer l’attractivité fiscale de la France, largement entamée au cours des dernières années par l’adoption de mesures défavorables aux groupes.